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Le problème difficile de la souffrance

Articles & Recherches

Ce problème est immense, et se présente comme un mystère insondable. Néanmoins essayons une réflexion à son sujet.

La souffrance, la douleur a-t-elle une réalité « ontologique » ? En d’autres termes, la souffrance appartient-elle à la réalité pleine et entière ? A-t-elle une dimension universelle ? Appartient-elle à toutes les modalités visibles et invisibles de la nature oo seulement à notre espèce ? Pour répondre à ces questions et tenter de déflorer le « mystère », il faudrait peut-être, par convention, distinguer la douleur de la souffrance. Il est d’usage de dire que la souffrance est une projection de la douleur. Nous aurions pu dire que la souffrance est inscrite dans le temps qui passe et dans un espace qui se déploie alors que la douleur semble être hors temps et sans contours. Plus précisément souffrir c’est anticiper un avenir terriblement inconfortable et avoir le regret, la nostalgie d’un moment où tout était paisible. La souffrance suppose l’espoir qu’elle se termine, mais l’espoir est une projection d’un meilleur possible, une invention du mental…

La douleur a quelque chose de plus radical que la souffrance, elle est vécue dans l’instant. Son intensité est sans projection possible. En revanche il semblerait qu’elle puisse s’ouvrir vers un autre plan de la réalité. Elle est alors ressentie différemment, elle semble appartenir à un autre monde …

 

« Souffrir c’est éviter et refuser ce qui est, c’est dire « non… »

 

Nous pourrions faire l’hypothèse qu’une douleur sans projection est plus gérable qu’une douleur avec sa projection. Certaine femme sous l’emprise des douleurs d’une endométriose est en souffrance plusieurs jours avant l’apparition de ses règles. Elle anticipe les douleurs à venir… Apprendre à être en direct avec la douleur pour la « traverser » semble la première étape pour vivre un phénomène de transe et disparaître en tant que sujet. Ne plus être quelqu’un, non seulement peut supprimer la souffrance, mais semble induire un changement de registre de réalité, qui met en abîme la douleur. Le mécanisme, certes, reste mystérieux, mais nous pourrions envisager que de chavirer dans une conscience Universelle (sorte de berceau d’information non locales) permets de ressentir cela !

Nous savons que le mental invente le corps et la conscience individuelle. Cette prédominance du mental peut oblitérer l’existence d’une conscience plus vaste qui représente le fondement de notre vraie nature.

Enfin, notons que curieusement le caractère radical de la douleur évite l’obligation d’une pratique. Nous avons dit que la pratique crée de la dualité. La douleur invite à se laisser envahir par elle, absorber en elle. Ceci est différent de quelque chose à faire de formel…

En définitive les évènements du réel, ne devraient servir que pré-texte à l’expérience de notre lumineuse vacuité. La prédominance du mental, la posture dite égotique, ne subsiste que par le jeu des divisions, oppositions, comparaisons, contradictions, séparation, jugement.  Observer les « réactions » et dualités permet de sortir de la folie et de faire l’expérience de l’Unité de la Présence ; le silence parle alors au silence…

 

Témoignage

Après avoir souhaité connaitre le fondement de la notion de douleur et, dans le même geste, celui de l’Unité de la réalité, une réponse s’impose à moi en transe profonde. Oui, la douleur, la souffrance est une des modalités du réel et non des moindres ! Plus précisément, après avoir expérimenté une absence de distinction entre le corps et l’esprit, un « intense mal être » se met encore à envahir la totalité de mon être. Cette forme de douleur morale, physique, devient dès lors plus vaste, existentielle, cosmique, universelle en traversant les dimensions du champ de la conscience. Cette souffrance est-elle encore le fruit d’un mental qui résiste, bien décidé à ne pas « lâcher l’affaire » où est-elle ontologique, autrement dit fait-elle partie des facettes de la réalité de notre espèce ? Nous pourrions dire que la souffrance côtoie l’Être de la réalité Ultime, elle se présente comme un épiphénomène, une écume à la surface d’un océan. 

 

J’espère toutefois pouvoir dissoudre cette terrifiante sensation, plus précisément j’attends qu’elle s’évanouisse au cœur d’une autre modalité d’être plus vaste, mais pour l’heure cette « sortie » m’est inconnue. Je ressens que tous « les existants » sont comme imprégnés par « la difficulté de vivre » ; la Nature, le monde, n’est que souffrance !

Néanmoins je devine que son caractère infini, effroyable, désespérant, voire scandaleux est source d’enseignement. Je devine également qu’il s’agit, pour en comprendre le sens, de dépasser le temps, l’espace et l’illusion de la naissance et de la mort… Enfin, je réalise que douleur et souffrance appartiennent encore au corps et au mental.

En revanche, le cadeau caché de cette bouleversante « lecture » est qu’il semble impossible d’échapper à la souffrance si le témoin est encore sous l’emprise du mental, pas même par le suicide. En effet il n’est pas certain que la mort induit l’extinction des pensées.  Tout continue pour « toujours et à jamais » et il n’y a pas de distinction entre le fait d’être ou de ne pas être.

Aussi, à la certitude « il est difficile d’être » s’impose l’idée qu’il est également « difficile de ne pas être » ; l’expérience de mon éternité est bien un fait. Cependant le fait d’être éternel n’est pas sous-tendu par une garantie d’éternelle félicité. Tout continue, cette permanence ontologique est loin de me rassurer, la douleur serait éternelle, tout du moins dans ce registre de conscience… En effet, quelle est cette identité, au cœur d’un état second, qui peut tenir un tel discours ? Un témoin immobile perdure et échappe à ces commentaires. Seul lui peut les faire « taire ». Cependant, je pressens que de se donner la mort ne résout rien car le « je suis » même mental, perdure au-delà du corps. Il n’y aurait donc pas de sortie à cette situation sans un chavirement inconditionnel dans le témoin de l’expérience 

 

J’ai donc l’intuition flottante d’une libération possible à cet éternel cauchemar.

Graduellement, à l’aide d’images induites par des sons, des souffles, je ressens, au cœur de ma transe, parcourue de soubresauts corporels, l’existence d’une autre réalité possible…

Je devine de plus en plus que le « témoin » du voyage, n’est pas totalement neutre. Loin d’être uniquement en contemplation, il influence ma perception, voire la dénature… Ce témoin est bien mon mental qui continue à éviter une expérience plus fondamentale, qui pourrait lui ôter sa capacité de contrôle. Ne suis-je pas à la porte de la quatrième proposition du tetralemme de Nagarjuna, qui nous rappelle que la libération implique de n’être ni personnel, ni impersonnel ? Autrement dit, qu’il s’agit de devenir radicalement « autre » au cœur d’une manière d’être inconnue.  Ainsi, il existerait une expérience « ultime » où nous ne deviendrions que souffrance pour en ressentir son « silence »

De la même manière que rentrer dans la vibration d’un son, au point de devenir un « champ vibratoire » atemporel et a-spatial, entrer dans ce mal être profond, c’est devenir autre chose. Plus précisément il serait possible de réaliser que de la même manière qu’il y a unité du son et du non son, il y a unité de la douleur et de la non-douleur. Reconnaissons que ce chavirement me paraît impossible à vivre dans ma réalité de l’instant, mais soudain un silence assourdissant m’envahit, s’impose... Je deviens le « silence du monde », tout se déréalise et d’autres mondes s’ouvrent, des mondes où la souffrance n’est plus un sujet, elle se déréalise également comme d’ailleurs mon ancienne représentation du monde. Des images fantasmagoriques, d’une Nature sauvage jaillissent : pieuvres entrelacées, toiles d’araignées, végétations luxuriantes, insectes inquiétants, vitesses et mouvements de fauves et de proies… Ici « tout pulse », vibre, exulte au cœur d’une éternelle présence ! Ma douleur s’estompe jusqu’à disparaître dans un oui sans concession au fait d’être, et même de ne pas être. En fait ces questions ne se posent plus…

Je comprends, plus tard, que l’issue possible à la douleur et souffrance dites universelles ne peut se faire qu’en changeant de dimension au sein d’une même réalité vécue. Encore une fois, au risque de me répéter, cette transition, sorte de fenêtre ou de porte, s’éprouve au cœur d’un silence abyssal, d’un silence fracassant dans lequel je ne peux que m’abandonner… Tout s’effrite, croyances, sensations, jusqu’à devenir inaudible…

Ces « nouveaux » mondes sont plus instinctifs, plus sauvages. La douleur de l’antilope attaquée par un fauve n’a plus sa raison d’être. Il y a une sorte de fusion entre elle et la réalité qui dépasse tout commentaire ou ressenti. Son « intensité » dépasse la dualité souffrance / non-souffrance. L’éternelle présence s’habille alors d’une nouvelle perception, plus vaste au sein de laquelle tout ressenti s’évanouit. Nous sommes alors libres de la douleur et du fait de vivre et de ne pas vivre, puisque rien n’est jamais né, comme le souligne Ramana Maharshi.  

 

Que retenir de cette expérience de nature mystique ?

Qu’en est-il de notre libération dans la réalité de surface ?

Qu’en est-il de la notion d’amour reflétant celle de l’homme libre ?