Retour à la liste

Le problème difficile de l’amour véritable

Articles & Recherches

Selon jean Klein, l’amour véritable ne se vit que lorsque notre Soi est réalisé. De manière radicale toutes les manifestations de ce que nous appelons amour, ne serait alors que des mixtes impur, des artéfacts de cet amour.

Même les états dits d’équanimité prônés par les bouddhistes, de paix intérieure, d’inviolable tranquillité du cœur et de l’esprit propres à la Philocalie des pères neptiques du désert, sont sujets à discussions. L’amour, est une fluctuation du Soi, il priorise une immobilité mais dans le sens où il n’est pas réellement affecté par les occurrences du réel apparent.

Ce Soi, nous l’avons dit, est la Conscience Universelle, parfaite, sans forme, inclusive, immuable mais pas impassible. Elle n’est pas, comme nous pourrions le penser, une sorte de néant, elle vibre, pulse telle une source principielle qui se suffit à elle-même. Comme de bien entendu elle ne peut pas se décrire, mais elle s’expérimente, s’éprouve. Nous sommes des facettes de ce champ d’informations virtuel et vivant.

Tout, absolument tout ce qui est manifesté, est une émanation de ce qu’elle est. Tout est en elle. Ce que nous nommons amour, dans notre réalité apparente, est souvent distordu par nos peurs et nos attentes. Être libéré c’est devenir rien, devenir rien c’est être amour.

Il n’est alors pas nécessaire de chercher quoique se soit, nous sommes plutôt trouvés, il n’y a rien à faire, la sensation de l’amour véritable est un attracteur qui nous oriente à chaque instant. De plus, tous les amants le savent, la notion de temps devient élastique, un temps infini existe mais il ne peut se comprendre comme un temps linéaire qui passerait, ce type de représentation du temps serait un enfer. Il s’agit plutôt, comme le souligne Saint Augustin, de réaliser que l’éternité est une absence de temps. Il nommera cette expérience le « perpétuel aujourd’hui de dieu ». C’est une sorte de perpétuel présent qui induit un changement de lecture de la Réalité. 

« La recherche de la Réalité est la plus dangereuse de toutes les entreprises, car elle dissout le monde dans lequel on vit ... »  Sri Nisargadatta Maharaj

 

L’expérience d’éveil et donc d’amour véritable, s’accompagne d’une sensation de vide et de silence profond qui peut paraître inconfortable. En effet la vie semble être alors être « sans objet », plus précisément sans finalité ni but, sinon celui de suivre l’écoulement du fleuve de la Vie…

Pourtant il ne s’agit pas d’une notion d’ennuie car notre « étreté » est habitée par une félicité tranquille. Cette plénitude ne se réalise pas par une action, par le fait de faire quelque chose. Elle se dévoile dans la non-attente et dans le non-agir. De la même manière qu’un miroir ne retient pas l’image, elle accepte toutes les images. De plus sa nature « spéculaire » n’est pas affectée par les tourbillons de nos émotions. 

Ainsi nous devinons la difficulté de définir la dimension polymorphe de l’amour de surface. Tous les êtres réalisés prononcent le mot encombrant d’Amour pour décrire la sensation qu’ils ont face à la totalité de ce qui est. Mais ils le font à partir d’un état de conscience qui nous échappe. Si nous leurs demandons de préciser ils se contente de dire que cet amour est libre de tout attachements. Essayons toutefois de visiter la profondeur de ce mot si réducteur d’amour et sa dimension polysémique.

Les Grecs se sont colletés avec cet exercice difficile, et disons que sommairement ils ont dégagé huit formes, huit sens au mot amour. 

 

1. L’amour « Eros » 

Eros est un demi-dieu androgyne, il représente l’élan vital, la force sexuelle instinctive et sauvage qui permet la fécondité et la fertilité de la Vie. Il est inquiétant et indomptable. Perdre le contrôle d’Eros c’est risquer de sombrer dans une passion trop intense qui peut chavirer dans « Mania* » et qui détricote les relations. C’est l’amour sans artifice, authentique pulsionnel mais qui reste néanmoins en harmonie avec la puissance de la Vie. Eros n’est pas destructeur, même s’il se déploie hors de l’interdit et de la culpabilité. L’injonction de Saint Augustin : « aime et fais ce qui te plaît ! » pourrait définir sa nature.   

Assumé, traversé, il peut être néanmoins sublimé. Il permet alors la créativité, l’accès à la connaissance, la beauté vraie et même la vision romantique et l’éveil…  

 

2. « Mania* » ou l’amour obsessionnel
Il est le fruit de la pulsion d’Eros contrariée, empêché par les interdits du social. Eros est un dieu, une force immortelle, il continuera de s’exprimer (sexe-primé) par un phénomène de détour. C’est le cortège des comportements érotiques déviants et obsessionnels, pour exemple, le sado-masochisme.  Pourtant sa manifestation reste thérapeutique et  homéostasique car elle oblige la « découverte des ignorances de soi ».  Pour exemple, la découverte de la volonté de contrôler, la jalousie, la dépendance et la peur d’être abandonné, une fois dépassée permet, une augmentation de l’estime et de la confiance en soi. Elle débouche alors à nouveau sur l’art de l’Erotisme.

 

3 « Ludus » ou l’Amour ludique (propre à l’adolescence)
« Ludus » permet de vivre Eros avec une certaine distance mêlée de complicité, d’humour, d’espièglerie. Nous trouvons Ludus dans la phase où l’on « monte l’escalier » avant d’atteindre la chambre à coucher. Les flirts, les allusions, les frémissements, les euphories, les inquiétudes flottantes, les émois, préparent et garantissent la continuité de la pulsion érotique. 

 

4 « Philautia » ou l’amour de soi

Les Grecs appréciés ce type d’amour personnel et profond. Il permet la félicité et évite les affres de la passion. De plus prendre soin de soi permet de prendre soin de l’Autre sans risquer de se perdre en lui. Cet amour-propre est différent de l’égocentrisme ou du narcissisme qui a besoin du pouvoir, de l’enrichissement, de la gloire en utilisant et « chosifiant » l’autre. Philautia même s’il est moins subtil qu’Agapé, que nous verrons plus loin, permet la compassion entre soi et soi, puis entre soi et l’Autre et enfin entre soi et tous les Autres.  « Tout sentiment amical pour les autres est le prolongement des sentiments de l’homme pour lui-même. » dira Aristote. Savoir se dire « Je m’aime » peut alors se traduire par un « JE m’aime », Je étant la Vie, l’Etre, le SOI. 

 

5 « Philia » ou l’Amour Amitié
Pour les anciens Grecs « philia » est un amour supérieur à Eros car il est plus paisible et profond. Selon Aristote il est « vertueux, serein et sans passion ». Libre de l’intensité et de l’attirance sexuelle, il demande néanmoins des sentiments de loyauté, de camaraderie et même un sens du sacrifice pour le groupe d’appartenance.

 

6. « Storge » ou l’Amour Familial
« Storge » ressemble à la « philia » car il s’agit d’un amour sans attirance physique.

Il recouvre une affection naturelle plutôt liée à la famille, même si Freud dira, de manière subversive que la famille est « le terrain de l’inceste ». L’amour » Storge peut inclure les amis d’enfance. Bref, il reste un amour parfois délicat à vivre car il s’appuie sur les relations critiques de la parentalité.

 

7. « Pragma » ou l’Amour éternel/durable,
« Pragma » est un amour de maturité, il s’assimile à la sagesse du couple développée au fil du temps. Raisonnable, Il a donné le nom au pragmatisme. Il s’installe au-delà du physique et se construit à deux (avec une âme jumelle ou complice) au cœur d’un récit de vie commun. Des objectifs communs sont partagés ainsi que des valeurs communes. Cet amour réaliste permet la longévité de la relation.  

 

8. « Agapè » ou l’amour Universel
C’est l’Amour le plus en adéquation avec nos propos sur la liberté vraie. Inconditionnel profond et mystique, il enveloppe tous les autres aspects de l’amour et les vivifient.

« Agapè » est un amour spirituel qui nous dépasse et s’ouvre sur la compassion naturelle.  Les bouddhistes le nomment « la bonté aimante Universelle. » Cet Amour est libre des désirs et des attentes et accueille tout. « Agapè » est probablement notre Vraie Nature libre et absolu.

 

Nous devinons que ces huit facettes sont celles d’un diamant et sont interdépendantes entre elles sans affecté le diamant. Conscientisées, ces facettes, même les plus claires-obscures, augmentent notre capacité à aimer. Agapè pourrait s’assimiler au Soi. 

Tel un musicien jouant avec ses gammes nous pouvons, pour exemple, apprendre à cultiver Eros en évitant « Mania » par la profondeur de « Philia », la liberté de la « Philautia » mais également par l’espièglerie de « Ludus ».

 

Ainsi, toutes les manifestations et dimensions de l’Amour sont de l’Être. Mais soyons lucide, dans notre réalité quotidienne notre amour se conjugue avec nos peurs et attentes. En paraphrasant Ramana Maharshi nous pouvons dire que ces manifestions sont le Soi (l’Être) et ramène au Soi (à l’Être). Le réel est donc une diffraction de l’Être, plus qu’une conscience consciente d’elle-même, nous pouvons dire que tout est conscience, tout est vivant. Il est donc tout à fait logique de ressentir l’Être par notre condition d’humain. En terme plus moderne et physique il est aussi possible de dire que toutes les vibrations, toutes les informations et énergies s’interpénètrent et ne forment qu’une seule et même réalité. Tel un arc en ciel ou une aurore Boréale la féerie des couleurs de l’Amour ont la même source ; la lumière. 

Peut-on se clarifier sur notre capacité à aimer à l’aide de l’autre ?

« L’autre, ce coupable idéal, pour nous libérer de ce dont nous ne pouvions accoucher seul"

« Je m’étais perdu à moi-même et tu es venu me donner de mes nouvelles. » A. Breton

« L’évènement c’est le SOI, et l’évènement ramène au Soi. » Advaita Vedanta

 

Même si secrètement nous devinons que l’autre est une solution et pas forcément un enfer ,  au moment d’une relation amoureuse non réussie, notre tentation, quasi instinctivement, est de conclure que l’autre est un coupable à notre souffrance, à notre mal être. Cet autre est un formidable moyen de détour, il nous évite, habilement peut-être, la douleur encore plus grande d’observer notre intrinsèque vulnérabilité.

Cet autre c’est l’amant trop silencieux, mais c’est aussi le vacarme du monde, le lieu si bienveillant que nous devons quitter, le départ de l’être aimé…  Le plus déroutant reste qu’il semblerait que nous choisissions – inconsciemment - parmi tous ces autres, celui qui révèlera le plus radicalement la dimension obscure de notre ignorance. Nos choix, mais est-ce vraiment un choix, semble porter sur les situations qui révèlera les mieux notre blessure enfouie et ses systèmes de compensations. Cyniquement, disons que le « bénéfice » à faire cela est immédiat ; la douleur devient tangible, palpable, moite, incontournable.

Cet Autre, même s’il est un simple évènement, n’est pas un miroir impassible, il va y avoir une interaction avec lui et cette interaction participe à l’intensité de la révélation. 

Il semblerait que si l’ignorance de soi n’est pas levée, les futures rencontres et autres contextes se représenteront en produisant les mêmes effets.

Que faire pour sortir de cette infernale répétition ? Probablement en acceptant notre zone d’inconfort, notre douleur existentielle sans détour. La libération de soi semble devoir se faire être à ce prix ! Traverser le cortège d’émotions qui l’accompagne, tout en évitant le goût à la théoriser induit une sorte de « chavirement » qui s’apparente à un état non ordinaire de conscience.  Nous sommes comme enseignés par la découverte de cette limite, nous pouvons ainsi consentir à être tel que nous sommes, pour toujours et à jamais. Il n’est pas nécessaire de vouloir changer, se « re- connaître », fragile à cet endroit est suffisant pour amorcer un acte de libération et de guérison de soi. Il y a une étrange félicité à se découvrir tels que nous sommes !...

Quitte à en désenchanter certains, je crois que nous ne pouvons pas nous échapper des limites de la condition humaine. Cependant, les reconnaitre, y consentir, nous ouvre sur un espace plus vaste qui enveloppera et noiera toutes ses fêlures ! Quitte à réécrire en permanence un « récit de soi », pourquoi ne pas y inscrire notre fragilité, notre sensibilité, notre émotivité et cesser d’en attribuer la cause à un extérieur de nous-même !

Par ce chemin d’authenticité de soi, il sera possible de réaliser que notre seule et unique souffrance est celle d’être en exil de notre « Je profond ». La démarche devient alors une démarche de révélation.

Témoignage, discussion

En ce qui me concerne j’ai besoin d’une relation enveloppante et paisible dans laquelle je ne me sente pas constamment évalué et contrôlé par l’autre. Emotif de base, le fais de devoir « remplir un cahier des charges » pour me garantir le « regard » de l’être aimé, m’angoisse. En définitive, je cherche un lieu d’accueil à ma nature imparfaite, trop ordinaire, je souhaite un espace familier au sein duquel je n’ai pas besoin de me parfaire sans cesse.

Le mot clef de cette attente serait fluidité, j’aime me sentir avec l’autre physiquement, mentalement et spirituellement comme doté d’un corps « aquatique ». Peu importe si le moment est long ou bref, je le devine comme un cadeau de la Vie, comme une occasion de se consoler d’exister. Ce n’est pourtant pas un amour thérapeutique, il serait plutôt complice. 

En revanche, je vois bien qu’un amour qui me permet d’être moi, au point de m’oublier, ne va pas de soi et se construit. Je devine que cette construction, qui peut paraître ambitieuse et idéaliste, non seulement se fait à deux mais demande également une libération personnelle de soi. Les peurs, les doutes, le manque de confiance ou d’estime de soi sont les signaux sensibles d’une relation amoureuse non réussie. De la même manière les mots tendres, les promesses, ne remplacent pas les actes concrets d’un amour véritable.

Comment devenir fluide ?

Comme pour une démarche spirituelle, la meilleure pratique pour être fluide semble, à l’aide de l’autre, de ne rien faire. Nous pourrions appeler cela une voie du non-agir. En effet, ne rien provoquer, ne rien contrôler c’est être en accord avec notre nature de simple existant qui souhaite se fondre dans une réalité bienveillante. Nous pouvons avec l’Autre, mais aussi Dieu, le principe, la substance, la Vie, la Mère Universelle, la Conscience Universelle, peu importe, voir qu’instinctivement nous souhaitons être accueilli et fusionner avec cette énergie que nous pouvons appeler l’Amour. Si nous gardons cette lucidité et cette honnêteté en soi, cette lumineuse et chaleureuse vacuité deviendra le moyen de notre pratique. C’est aussi simple que cela, suivre les méandres des évènements et occasions de la Vie avec confiance, laisser faire, laisser agir, accompagner sans intervenir est la seule pratique sans pratique sur un chemin sans chemin.        

Mode d’être dans la réalité quotidienne

Je pense que les choses se déploient indépendamment de ce que nous croyons, pensons et voulons contrôler ; cependant nous avons aussi la capacité de réfléchir afin de « baliser » - illusoirement certes - un chemin sans chemin ! …

Aussi, tout d’abord réalisons que nous partageons tous « l’horreur de cette situation ». Notre espèce est inconsolable, errante, perdue ; « l’autre », de ce point de vue, est un « autre moi-même ».

Cet autre, loin d’être un ennemi, me console, me distrait, quels que soient ses comportements.

Comme moi, il ne cesse de vouloir se divertir de sa douleur existentielle, lui aussi se prenant pour quelqu’un.

 En revanche, nous pouvons aussi partager la recherche de notre « libération », et cela ne demande aucune compétence intellectuelle. Elle ne convoque pas un savoir, mais le simple fait de consentir au fait d’être et de ne pas être !

Accepter inconditionnellement ce dilemme, dire oui à la vie comme à la mort c’est sortir des trompe-l’œil de l’existence quotidienne. Ce oui radical n’est pas un « n’oui ». S’il doit y avoir un « diable », c’est de dire « non ».

Cette position, cette posture d’engagement, qui ne va pas de soi, permet de réaliser que « la vie et la mort sont les deux faces d’une pièce qui n’existe pas ! »

 

NDA ; Les Pères du désert, dès le 3ème siècle, sont les fondateurs de l’église chrétienne, tant sur le plan de sa dimension dite régulière que séculière. Leur communauté privilégiait la démarche mystique et le gout pour l’absolu avant toutes représentations et dogmes. Certains d’entre eux étaient des ermites et cultivaient un ascétisme radical. Moins connu, est le fait que certaines femmes, les Ammas, étaient également considérées comme des Mères du désert.      

NDA : Rappelons que nous pouvons être l’amant d’un être humain, d’un animal, mais  également du Soi, d’un Dieu si l’on préfère conserver une notion de dualité. 

 

NDA ; les commentateurs hellénistes en dégagent parfois près de vingt mais il s’agit de sous parties qui affinent les définitions précédentes, par souci de clarté gardons ce format d’analyse.